Je dédis ce monologue à ma sœur Tokossel qui est atrocement mutilée et à ma sœur Seynabou qui est morte l’année dernière, à 40 ans, laissant ses jumeaux et 6 autres enfants.
I recant this monologue to my sister Tokossel who is horribly mutilated and to my sister Seynabou who died last year, just after giving birth to her twins leaving behind 6 other children.
Mesdames, Madame le Juge,
Ladies, Lady your honor,
Je m’appelle N’em Si Yalla, la morte. Je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. De mon vivant, j’étais une belle femme, aimée et respectée par tous. Je suis morte en mettant au monde mes jumeaux… Ma maison était la plus grande et la plus belle du village. Tous mes enfants garçons comme filles habitaient avec moi. Aucune décision ne se prenait sans que l’on me demande mon avis. Mes sœurs et moi nous retrouvions souvent. Certaines de nos réunions étaient interdites aux hommes et c’est comme ça que le malheur est arrivé. Ils n’ont pas pu supporter de nous voir nous enrichir mutuellement. Ils ont eu peur de notre pouvoir. Ils nous ont accusées de sorcellerie et ils ont brulé toutes les fortes têtes, toutes mes amazones.
My name is N’ em Si Yalla, the dead woman. I swear to say the truth, all the truth, only the truth. In my lifetime, I was a beautiful woman, loved and respected by all. I died giving birth to my twins… My house was the biggest and the most beautiful one in the village. All my children boys and girls lived with me. No decision was taken in the village without first hearing what I had to say about it. My sisters and I often met. Some of our meetings were forbidden to men and this is how the misfortune arrived. They could not bear to see us growing rich. They were afraid of our power. They accused us of witchcraft and they burned all the strong heads, all my Amazons.
Pourtant, nous avons toujours été non-violentes, notre sexualité n’était pas bridée avant qu’ils ne s’en mêlent. Nous vénérions la Mère Terre et nos ancêtres. Nous vivions très proches de la nature (le secret des plantes, cela nous connaissait). Nos fils et nos filles héritaient directement de nous. Tout le monde nous faisait confiance et respectait notre intuition. Notre système d’échange était basé sur le troc, pas sur l’argent qu’ils ont introduit par la suite. La mère était le pilier de la société et l’on ne prenait pas une vie pour une chose aussi banale que le sexe.
Yet, we have always been non-violent, our sexuality was not restrained before they had their words on it. We worshipped Mother Terre and our ancestors. We lived very closed to nature (the secret of plants, we knew new all about it). Our sons and our daughters inherited directly from us. Everybody relied on us and respected our intuition. Our system of exchange was based on barter, not on money which they introduced way afterwards. The mother was the pillar society and no one would take somebody else’s life for a matter as common as sex.
Quand deux jeunes gens s’aimaient, ils commençaient tout simplement une vie de couple. Ils n’habitaient pas dans la même maison, mais se voyaient et travaillaient ensemble. S’ils passaient la nuit dans la même chambre, de temps en temps, c’est que la femme le voulait bien. L’homme venait tard le soir et repartait tôt le matin et cela ne regardait qu’elle. Si elle décidait de dormir avec un autre homme de la communauté, personne n’y trouvait à redire. Il n’y avait pas de jalousie, puisque c’était une faveur qu’on leur faisait et qu’un homme pouvait être choisi par d’autres femmes. Nous savions reconnaître et respecter les différences. Il y avait celles qui n’avaient jamais voulu d’aucun homme dans leur lit… Et puis celles qui n’avaient jamais voulu que du premier homme qu’elles avaient choisi. Il y avait enfin celles qui, comme moi, faisaient feu de tout bois. Cela me fait rire quand les jeunes femmes d’aujourd’hui disent que cela devait être fatiguant de s’occuper ainsi de plusieurs hommes. Ce n’était pas du tout fatiguant, c’était eux qui s’occupaient de nous et pas le contraire.
When two young people fell in loved with each other, they simply began sex life. They did not live in the same house, but saw each other and worked together. If they spent the night in the same room, from time to time, it is because the woman wanted to. The man came late in the evening and left early in the morning and that was nobody’s business. If she decided to sleep with another man of the community, nobody found that weird. There was no jealousy, because it was a favour which we were doing them and the man could be chosen by the other women to sleep with. We knew how to recognize and respect differences between us. There were those who had never wanted any man in their bed… There were those who had never wanted but the first man whom they had chosen. There were finally those who, just like me, fired on any wood. It makes me laugh when the young women nowadays say that it had to be tiring to take care of so many men. It was in no way tiring, it was them who took care of us and not the opposite.
Le concours de beauté Guerouol, comme cela se fait encore chez les Bororo, durait plusieurs jours et plusieurs nuits d’affilée. Tout le village vibrait au rythme des chants et des pas de danse des candidats. Chacun revêtait ses plus belles parures. Les jeunes femmes défilent devant les hommes en transe pour, d’un simple regard, d’un geste à peine perceptible du bras, désigner leur candidat. Et la danse continuait, ainsi, jusqu’au choix du plus bel homme de l’année…
The beauty contest Guerouol, as it is still performed in Bororo lands, lasted several days and several nights in a row. All the village vibrated with the songs and dances of the candidates. Each dressed with the most beautiful fineries. The young women marched past the men in trance, with a simple glance, a hardly perceptible gesture of the arm, to indicated their candidate. And the dance continued, so, up to the choice of most handsome man of the year…
Quand ils ont décidé que je ne pouvais plus sortir de la maison… Que je devais rester voilée… Que nos Déesses étaient mortes… Que nous devions nous limiter qu’à un seul homme, qui nous choisissait… Que nous n’avions pas le droit de nous refuser à lui et que, oh ! Bêtise, l’enfant appartenait au père… Que le garçon seul devait hériter du père… Que nous n’avions plus le droit de posséder des terres…
When they decided that I could not go out of the house any more… That I had to remain veiled… That our Goddesses were dead… That we have to limit ourselves to a single man, who chose us… That we had no right to refuse to him and that, Oh! Stupidity, the child belonged to the father… That only the boy would inherit from the father… That we had no more the right to possess lands…
Vivante, j’étais déjà morte ! Comment contrôler les naissances et survivre à toutes ces grossesses non désirées si nous ne sommes plus celles qui décident ? Et ce qui devait arriver, arriva. Je suis morte en couche. J’ai laissé une maison pleine d’orphelins. Toutes mes filles ont été excisées pour brider leur sexualité et les plus belles de la manière la plus atroce. Quel triste sort que celui des femmes sans voix. C’est pour elles que je suis venue témoigner ici, Madame le Juge. Pour que justice soit faite et que le bon droit soit rétabli. Je m’en retourne d’où je viens… D’Outre-tombe…
Hell! I was still alive, but I had already died! How can we control the births and survive all these unwanted pregnancies if we are not any more the one who decide? And what was to arrive, arrived. I died while giving birth. I left a house full of orphans. All my girls were excised to restrain their sexuality and the most beautiful in the most atrocious way. What a sad fate, that of the speechless women. It is for them that I came to testify here, Lady your honor. So that justice is made and the good right restored. I return from where I came from… from Outre-tombe…
P.S: Originally written in French and first shared at the 2010 African Feminist Forum in Dakar.
7 comments On ‘Monologue sur le Matriarcat/Monologue on Matriarcat’ by Guest Contributor Fatime Faye
My goodness. I am not sure what to make of this. Is this a non-fiction account by a survivor? Fiction? Beautiful and deep and true.
Very stunning to read in both languages.
This is both fiction and non-fiction. Tokossel was mutilated and is living it the hard way, fighting a cancer in her throat (it is taboo to talk about it in her community). Seynabou died in 2009 and her twins are now in an SOS village. And I am a polyandrist… Rest of the information can be easily Checked on Google. 😉
C’est une fiction, mais aussi une histoire vraie. Tokossel a été mutilée et le vit mal, luttant contre un cancer de la gorge (c’est tabou de parler de ces choses dans sa communauté). Seynabou est morte en 2009 et ses jumeaux sont maintenant dans un village SOS. Et je suis une polyandre… Le reste des informations peuvent être facilement vérifiées sur Google. 😉
@Fatime – this is a very moving piece in so many ways, and makes me think of so many issues. How colonisation has affected what I imagine was a more open approach to sexuality, life in pre colonial times, FGM, women’s health…so much. And all this narrated in the most compelling way. Thank you so much for sharing. I hope you will consider writing something for Adventures. Perhaps a piece about life as a polyandrist?
Yep, I Will. But let other polyandrists share first. They are more common than we think. Do you know, for example that polygamy (for men) is legal in some countries while polyandry is a crime that can take you to prison? Google polyandry in Bassari people.
Je veux bien, mais j’aimerais entendre d’abord ce que les autres polyandres ont à dire sur le sujet. Elles sont plus nombreuses qu’on ne le pense. Saviez-vous, par exemple que la polygamie (pour les hommes) est légale dans certains pays quand la polyandrie est un crime passible de peine de prison? Google la polyandrie chez les Bassari.
http://www.matricien.org tells about African people and matriarcal societies.
Pour plus d’info sur les peuples africains et le matriarcat.